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Scène II

L’EMPEREUR, LE DUC.
L’EMPEREUR, d’une voix qui tremble de colère.

Sortez tous.Qu’est ceci ?

LE DUC, immobile et tenant encore à la main son petit chapeau de montagnard.

Sortez tous.Qu’est ceci ?Donc, si je n’étais rien,
Sire, vous le voyez, qu’un pauvre Tyrolien,
N’ayant pour attirer vos yeux, chasseur ou pâtre,
Qu’une plume de coq à son feutre verdâtre,
Vous vous seriez penché sur mon cœur ébloui.

L’EMPEREUR.

Mais, Franz !…

LE DUC.

Mais, Franz !…Ah ! je comprends que tous vos sujets, — oui,
Que tous les malheureux, — toujours, puissent se dire
Vos fils autant que nous ! Mais est-il juste, Sire,
Est-il juste que moi, quand je suis malheureux,
Je sois moins votre fils que le moindre d’entre eux ?

L’EMPEREUR, avec humeur

Mais pourquoi donc — il faut, Monsieur, que je vous gronde ! —
Là, quand je m’occupais de tout ce pauvre monde,
M’être venu parler, et non pas en secret ?

LE DUC.

Pour vous prendre au moment où votre cœur s’ouvrait.

L’EMPEREUR, bourru, se jetant dans le fauteuil.

Mon cœur !… Mon cœur !… Sais-tu que ton audace est grande ?

LE DUC.

Je sais que vous pouvez ce que je vous demande,
Que je suis malheureux, que je me sens à bout,
Et que vous êtes mon grand-père, voilà tout !

L’EMPEREUR, s’agitant.

Mais il y a l’Europe ! — Il y a l’Angleterre ! —
Il y a Metternich !

LE DUC.

Il y a Metternich !Vous êtes mon grand-père.