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J’habite le mont bleu qui jusqu’au ciel s’élève :
Être cocher de fiacre, à Vienne, c’est mon rêve.

L’EMPEREUR, haussant les épaules.

Allons ! tu le seras !
(Il passe la supplique au chambellan, et prend des mains d’un fermier cossu la suivante qu’il lit à mi-voix.)
Allons ! tu le seras !Un grand cultivateur
Voudrait que Franz lui fît restituer le cœur
De sa fille, que prit un verrier de Bohême.
(Lui rendant son placet.)
— Tu marieras ta fille au Bohémien qu’elle aime.

LE FERMIER, désappointé.

Mais…

L’EMPEREUR.

Mais…Je le doterai.
Mais…Je le doterai.(La figure du fermier s’éclaire.)

LE CHAMBELLAN, prenant note.

Mais…Je le doterai.Le nom ?

LE FERMIER, vivement.

Mais…Je le doterai.Le nom ?Johannès Schmoll.
(Se courbant devant l’Empereur.)
Je te baise les mains !

L’EMPEREUR, lisant le papier qu’il a pris des mains d’un jeune berger profondément incliné et enveloppé d’un grand manteau.

Je te baise les mains !Un pâtre du Tyrol,
Orphelin, sans appui, dépouillé de sa terre,
Chassé par des bergers ennemis de son père,
Voudrait revoir ses bois et son ciel… — Très touchant ! —
Et le champ paternel !… On lui rendra son champ.
(Il passe la supplique au chambellan, qui l’annote.)

LE CHAMBELLAN.

Le nom de ce berger qui demande assistance ?

LE PÂTRE, se redressant.

C’est le duc de Reichstadt, et le champ, c’est la France !

(Il jette son manteau, et l’uniforme blanc apparaît. Mouvement. Silence effrayé.)
L’EMPEREUR, d’une voix brève.

Sortez tous.

(Les officiers font rapidement sortir tout le monde. Les portes se referment. Le grand-père et le petit-fils sont seuls.)