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FLAMBEAU.

Mais qui donc ont-ils mis à sa place ? Henri Quatre.
Dame ! il fallait trouver quelqu’un qui sût se battre…
Mais, basta ! l’empereur Napoléon sourit
D’avoir, pour fausse barbe, un jour, le roi Henri !…
— Avez-vous jamais vu la croix ?

LE DUC, mélancoliquement.

Avez-vous jamais vu la croix ? Dans des vitrines.

FLAMBEAU.

Monseigneur, il fallait voir ça sur des poitrines !
Là, sur le drap bombé, goutte de sang ardent
Qui descendait, et devenait, en descendant,
De l’or, et de l’émail, avec de la verdure…
C’était comme un bijou coulant d’une blessure.

LE DUC.

Ce devait être beau, mon ami, je le crois.
Sur ta poitrine, là.

FLAMBEAU.

Sur ta poitrine, là.Moi ?… Je n’ai pas la croix !

LE DUC, sursautant.

Après ce que tu fis, modeste et grandiose ?

FLAMBEAU.

Pour l’avoir, il fallait faire bien autre chose !

LE DUC.

Tu n’as pas réclamé ?

FLAMBEAU, simplement.

Tu n’as pas réclamé ? Quand le petit Tondu
Ne donnait pas l’objet, c’est qu’il n’était pas dû.

LE DUC.

Eh bien ! moi, sans pouvoir, sans titre, sans royaume,
Moi qui ne suis qu’un souvenir dans un fantôme !
Moi, ce duc de Reichstadt qui, triste, ne peut rien
Qu’errer sous les tilleuls de ce parc autrichien
En gravant, sur leurs troncs, des N dans la mousse,
Passant qu’on ne regarde un peu que lorsqu’il tousse !
Moi qui n’ai même plus le plus petit morceau
De la moire si rouge, hélas ! dans mon berceau !
Moi dont ils ont en vain constellé l’infortune !