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rage : je me mis à gravir la pente. Et lorsque, après avoir parcouru une centaine de toises, je jetai un coup d’œil à l’arrière, j’aperçus, accident ou pâmoison, le nègre étalé sur le sol et ne bougeant plus. Cette fois, je me vis bien réellement sauvé. Je ne m’accordai du reste aucun repos : jusqu’à l’aube, je traînai ma pauvre machine.

Pendant plusieurs jours, je rôdai à travers un pays sylvestre, rarement entrecoupé de quelque clairière — pays d’ombre, aux nuits humides, pays de bêtes fauves et de reptiles, pays de mystère meurtrier où l’on ne savait si c’était la lumière ou les ténèbres qu’il fallait redouter davantage. N’étais-je pas, en un sens, plus solitaire que Robinson ? Au centre de la formidable Afrique, misérable homme à la face pâle, séparé de ma race par des terres immenses, par des animaux innombrables, par des millions d’individus dont j’ignorais la langue, et pour qui je ne pouvais être qu’un ennemi vaincu, une