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égorgements dans la nuit, des tueries de bêtes et d’hommes…

— Du sang… du sang ! Oh ! ce qu’il coulait… il aurait coulé jusqu’à la mort d’Antoine !

Elle levait ses longs bras secs avec un grelottement.


Déjà François entrait dans la salle à manger. Il vit le petit Antoine, les yeux chavirés, qui continuait à gémir. Christine Deslandes, assise sur un tabouret, lui tenait l’avant-bras où l’on apercevait une large estafilade. Le sang jaillissait encore, la jeune fille lavait délicatement la plaie. Des bandes de linge étaient là, prêtes pour le pansement. Les gestes adroits de Christine, son regard vigilant et son visage résolu imposaient la confiance.

Rougemont aimait beaucoup le petit Antoine. Il considéra avec inquiétude le bras sanglant et l’eau rouge de la cuvette.

— Est-ce grave ? fit-il.

— Non, répondit Christine, rien d’atteint, sinon des veines et de petites artères. Je vais faire un pansement provisoire en attendant le médecin.

— Oh ! pas de médecin, protesta Antoinette, pas de charcutier !

Le petit répéta avec épouvante :

— Pas de médecin ! Pas de médecin !

La vieille femme avait un tel air de catastrophe, l’enfant tremblait si fort que Christine céda :

— On tâchera de s’en passer.

— Vous le panserez bien mieux qu’un médecin, déclara passionnément Antoinette. Allez ! il n’y en a pas un seul qui ait ces petites mains légères.

Elle était presque joyeuse à l’idée qu’elle ne verrait pas l’homme redoutable, le visage vague et sévère qui terrifie les pauvres. Avec lui, le mal devenait une chose officielle, soumise à de mystérieuses tyrannies ; avec la fille aux gestes subtils et