Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nait avec douceur des minutes si rares où, jeune encore, elle décrochait quelques francs et quelques caresses ; une petite larme perlait par intervalles au coin de sa paupière cuite, elle marmonnait un Notre Père avec ferveur et sincérité.


Les journaux socialistes aboyèrent. L’Humanité exigea l’intervention des pouvoirs publics, la Petite Démocratie ouvrit une souscription, la Guerre sociale demanda si c’était tout ce que la patrie payait aux travailleurs et la Voix du peuple, sous la rubrique Un Crime patronal, consacra deux colonnes à la crapulerie des entrepreneurs : une illustration montrait trois patrons énormes, mirant leurs petits verres de fine champagne et balançant des cigares gros comme des triques, tandis que des puisatiers agonisaient, le crâne ouvert, les entrailles arrachées, sous des blocs, des poutres et des argiles. Aussi l’enterrement fut-il formidable. On vit défiler deux mille puisatiers et terrassiers, le chapeau en bataille, l’immortelle sanglante à la boutonnière, les délégations des maçons, des charpentiers, des tailleurs de pierre, des peintres en bâtiments, la Philharmonie du XIIIe arrondissement, la Fanfare de Montsouris et des badauds sans nombre.

Le secrétaire du syndicat grogna un discours rauque, un délégué de la C. G. T. prophétisa les prochaines représailles, mais le succès de la journée revint à François Rougemont : il dépeignit l’âpre existence des hommes qui forent les puits, creusent les tranchées, les mines et les carrières, imposent des assises au lit des fleuves, transpercent les montagnes. Assaillis par le froid, par l’humidité, par les gaz qui tuent, par les microbes qui rongent, par les éboulements qui écrasent, ils usent leurs bras et leurs poitrines contre le roc dur, la terre pesante, les sables perfides. Pour tant de peines, un salaire dérisoire, une pâture qui ne répare ni