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poitrines eussent été accordées selon le même rythme.

La police fit d’abord bonne contenance. Quelques agents trapus, aux visages de dogues, rangés en croissant, défendaient l’issue la plus accessible. D’autres occupaient des territoires bosselés, que protégeaient, par intervalles, des lattes, des planches, des fils de fer. Le commissaire, homme pacifique, encourageait les agents, d’une voix de tête ; il désirait éviter la bagarre. Lorsque se produisit le premier choc, au lieu de maintenir les dogues, il crut sage de les masser plus près de la fosse. Cette tactique le perdit. L’avant-garde populaire poussa un mugissement et se rua. Toutes les digues se rompirent. Serrés les uns contre les autres, dans un territoire étroit, où les mouvements étaient pénibles, les agents furent englobés dans la multitude. Par une manœuvre habile, on les séparait les uns des autres, et le commissaire, monté sur un tertre, la moustache éperdue, s’écriait :

— Mais enfin, que voulez-vous ?

— Nous voulons que le cadavre de Jean-Baptiste Moriscot n’aille pas à la morgue ! cria la grande voix de Rougemont.

Mille voix répétèrent :

— Nous voulons le cadavre !… le cadavre !… le cadavre !…

Il n’y avait plus de sergents, la foule les avait littéralement enkystés ; le commissaire, cerné par cent créatures furibondes, levait les bras en signe d’impuissance :

— Personne ne vous refuse le corps, rauquait-il d’une voix appesantie… Il n’y a qu’à le réclamer !

— Je le réclame ! aboya Pouraille.

Il s’avançait, hagard d’orgueil, vers la civière où reposaient les restes de Jean Baptiste Moriscot. Deux terrassiers et deux maçons le suivaient qui, sur un signe d’Isidore, enlevèrent le cadavre. Le