Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cils et marchait aussi courbée qu’un vieux vigneron.

Isidore hennissait d’enthousiasme. Elle était son enfant chérie ; celle par qui il voyait obscurément croître la généalogie des Pouraille ; et la rivale de l’autre, le fils d’amour de Victorine, que le terrassier ne haïssait point, mais dont la vue le soulevait d’une colère rance et d’une jalousie vermoulue :

— Fifine ! bravo, Fifine ! bêlait-il, avec des larmes.

Il tournait sa face de sable et d’ocre, prenant les gas à témoin de la gentillesse et de la vaillance de cette pauvre fille :

— Elle leur porte à boulotter ! Elle a quitté sa Singer pour eusses. C’est un cœur, un cœur, que je dis !

Il aperçut Émile Pouraille, avec Armand Bossange et Gustave Meulière, le frère de Georgette. Émile portait une peau trop étroite sur une ossature de cheval. Ses longues joues luisaient à force d’être tendues, son front semblait verni au ripolin. Ce garçon étonnait par des lèvres pareilles à de vieux rognons, par un petit nez lilas, où avait passé un érésypèle ; il soufflait continuellement des narines. À cause de sa poitrine de poulet, il venait d’échapper au service militaire. Affreux, faible, excentrique, il devait jouer les rôles d’épave. Mais de même qu’il était aveuglé par sa tendresse pour Fifine, Isidore l’était aussi par sa jalousie. Sous Émile, il découvrait le rival qui l’avait généré. De ce rival, un pauvre hère dartreux, le terrassier, qui ne l’avait jamais vu, se faisait une image de beauté et de luxe. Il l’exécrait et il en était fier. C’était le type magnifique qui fabrique des orphelines aux cheveux d’or ou d’éblouissants bâtards.

Les soirs de soûlerie, Isidore criait avec orgueil et rage :

— Mon fils est le fils d’un comte !


Le terrassier se rapprocha d’Émile et lui dit :

— T’as pas honte, feignant, fumier de pigeon !