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corbillard, un catafalque, un cierge brûlant dans une chambre funéraire, un curé portant l’extrême-onction, dès qu’elle entendait la sonnerie des enterrements ou le glas, sa petite âme sensuelle et légère frémissait de crainte et d’un bizarre enthousiasme. À la Fête des Morts, elle ne vivait qu’au cimetière, elle se ruinait en brassées de fleurs et d’herbes, elle courait dix fois remplir son arrosoir, le bock des trépassés ; elle était exaltée, extasiée, ivre, mystique, bienheureuse.

— Vous avez raison, répondit-elle. Je n’y pensais pas. Les morts, il n’y a que ça !

Elle prit un petit air pieux qui la rendait très désirable. Et la longue Eulalie, par contagion, éteignit ses yeux de braise, quoiqu’elle se fichât des morts plus encore que des vivants ; elle ne comprenait que ce qui grouille, clapote, s’esclaffe, se moque, court les bastringues, se tasse aux théâtres, aux caf-conce et aux chevaux de bois.


C’était l’heure où Victorine Pouraille apportait la nourriture à sa cousine et aux petits. Elle survenait comme une sarigue, la face constellée de verrues dont chacune avait son bouquet de poils, les yeux chocolat au lait, vêtue de futaine et de cotonnette, avec un bonnet à l’ancienne mode, tuyauté, ruche, aux brides folles, les cheveux si plats et si polis qu’on eût cru d’une plaque de métal blond. De la main droite, elle tenait un litre ; de la gauche une gamelle où fumotaient des pommes de terre et du chipolata. Sa fille Fifine suivait, avec une corbeille chargée de pain, d’assiettes, de fourchettes, de couteaux et de verres.

Fifine déviait à gauche ; ses omoplates saillaient comme des plats à barbe. Un faible chignon chanvre écru constituait sa chevelure ; son regard décelait le courage, la prévoyance et l’anémie ; son menton formait une pointe de sabot ; elle n’avait plus de