Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pain de sa femme. Il prenait ses repas dehors et ne rentrait qu’une nuit sur quatre.

Elle l’aimait bien, cependant, quoique sans ferveur, et disait qu’il était bon homme. Maintenant qu’il gisait sous l’argile, la chaux et les moellons, mort ou agonisant, elle avait pitié de lui ; elle venait le visiter tout le long du jour, par devoir, par un attrait tragique et sans être sûre de le regretter. Elle éprouvait une confuse impression de victoire.

Car, si elle n’avait guère été jalouse, il existait pourtant, au fond d’elle, une petite rancune furtive, veilleuse très pâle dans une vaste obscurité. Ce solide Alexandre aurait pu la nourrir, sinon lui rendre hommage.

Elle savait de sa propre bouche, car il était vaniteux, qu’il se payait des femmes aux vastes fesses. Avec quelques sous, elle aurait satisfait son humble faim ; puis, quoiqu’elle fût faible, lente, eût peu de nerfs et presque pas de sang, la nature s’était complu à ne pas la rendre insensible. Tant d’autres ont des femmes laides et, tout de même, leur font politesse. Ne voit-on pas des chemineaux violer des vieilles de quatre-vingts ans ? Alexandre, plein de force, rude mâle chaud à l’œuvre, qu’est-ce que ça lui aurait fait d’être gentil, un dimanche matin, lorsqu’il traînait dans la litière ? Mais non, jamais… jamais…

La mère Chicorée qui comprenait l’inconstance, qui s’avouait le charme des créatures mamelues, aurait été indulgente et trouvé la vie bonne, avec douze sous par jour pour la pâture et, de ci de là, un petit chambardement de sa personne. Aussi ne trouvait-elle pas inique que le puissant Alexandre fût enseveli sous la terre.

Le troisième puisatier, Jean-Baptiste Moriscot, n’avait ni femme ni famille. Personne ne rôdait autour de son infortune, pas même une maîtresse, car, depuis six mois, il avait chassé la dernière, après