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la sueur s’égouttaient sur son visage. Elle ne s’était ni lavée ni peignée depuis vingt-quatre heures. Chaque fois qu’elle essuyait sa face, elle y délayait de nouvelles poussières ; ses mains étaient pleines de terreau ; sa chevelure, perdant ses dernières épingles, pendait en méchettes ocreuses, d’une façon humble, dérisoire et pitoyable.

Les deux petits s’ennuyaient lamentablement. Ils rôdaient autour de la mère comme de jeunes chiens ; ils n’avaient plus le courage de jouer avec les herbes, les cailloux, l’argile ; ils attendaient le pain, la charcuterie, et l’eau rougie qu’apportaient, à tour de rôle, le cousin Isidore ou la cousine Victorine.

Isidore Pouraille revenait continuellement. Il vivait dans une indignation joyeuse et arrogante. Quand il ne critiquait pas les travaux de sauvetage, avec des hurlements ou des menaces, il allait mijoter chez les marchands de vin. Depuis la veille, il avait appris à les connaître tous, dans un rayon de deux kilomètres. À la réunion des amis du Cantal, il y avait un petit vin rouge qui sentait l’écorce ; les Becs salés offraient un vin gris à goût de prune ; un joli vin blanc vous égayait chez le Père Camoufle ; le vin noir des Trois Compagnons donnait une boue abondante mais pleine de force et de gaieté ; le chablis de l’Usine avait un bouquet de silex…

Pouraille clabaudait contre le gouvernement, les bourgeois, les lâches, les militaires, les baveuses et les « Italboches ». Il crispait une face où les poils semblaient un tas de sable, des yeux de beurre fondu, une peau râpeuse comme de la pierre meulière ; il rugissait devant le zinc, en écartant ses jambes bancroches et se donnait du poing dans le ventre pour souligner sa conception du monde, des hommes, du travail, de la justice, du bonheur, de l’éboulement et du sauvetage. À force de les avoir hurlées, les choses lui devenaient indifférentes. Il en était au plaisir simple d’écouter sa voix, de faire