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Delaborde s’était arrêté auprès de Christine. La belle fille supportait l’épreuve d’un éclairage rude. Sa peau renvoyait des nuances d’aubépine blanche et rose ; les feux de son regard variaient selon les battements des paupières et les attitudes ; sa chevelure décelait la sève, l’éclat, la souplesse, le nombre, je ne sais quelle âpre splendeur et quelle liberté ombrageuse. Comme l’avait dit l’éditeur, elle était bien « reliée » ; attentive aux lignes de son corps, elle savait l’art d’ajuster et d’apparier les étoffes.

François, qui l’examinait avec une humeur dénigreuse, ne trouvait rien à reprendre. C’était une admirable fille du peuple, à demi affinée, d’autant plus brillante. On n’eût souhaité un visage plus fin : il n’aurait pas eu cette saveur.

Elle cessa deux secondes de plier ; elle répondit d’un signe de tête à la salutation silencieuse du propagandiste. Les joues de Delaborde vacillèrent et François s’indigna de ce trouble : il n’avait aucune indulgence pour l’amour des vieux hommes et, n’ayant jamais songé que c’est un des grands drames de la vie, il en méprisait la pathétique misère. Quoiqu’il eût déjà trente-trois ans, il ne concevait guère ce moment effroyable où tout s’achève, où le monde, hier encore tout étincelant de la féerie des aventures, est enfin clos, où l’on reste étendu sur sa vieillesse, comme Job sur son fumier. La vie est impérieuse, l’imagination dans sa plénitude, et déjà l’on est le rebut !

Avec un instinct de sauvage, Rougemont ne voyait que turpitude dans la passion des quinquagénaires. Jamais il ne les avait crus touchants ou lamentables, et il n’exceptait pas même les individus robustes, meilleurs reproducteurs, après tout, que tant de jeunes hommes sans sève, tant de tuberculeux, de neurasthéniques, d’eczémateux et d’alcooliques.

— Mademoiselle Deslandes, fit l’éditeur d’une