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Ils allaient entrer dans l’atelier de brochure, lorsqu’un jeune homme sortit d’une grande cage de verre où l’on voyait deux personnages chauves penchés sur un double pupitre.

— Monsieur, c’est pour la facture Laroche… On conteste toujours nos chiffres.

Rougemont reconnut, pour l’avoir entrevue aux Enfants de la Rochelle, cette face un peu courte et ces cheveux en baguettes. Les yeux ardoise exprimaient la confiance des jeunes animaux.

À la vue du syndicaliste, l’ombrageux visage s’emplit de sang ; ce fut une de ces émotions absurdes, démesurées et sans cause, propres aux adolescents. Delaborde ne s’en aperçut pas. Il se contenta de répondre :

— Nos chiffres sont exacts, Bossange. Il faut les maintenir.

— Bien, monsieur, répondit l’autre, dont les yeux s’hypnotisaient sur François.

« De la bonne graine à propagande ! » songea le collectiviste.

Il sourit au commis, avec un petit air de complicité dont l’effet était sûr.


Ils arrivaient à l’atelier de brochure. Assises devant de longues tables, dans une lueur argentine filtrée par la baie ovoïde, des femmes et des jeunes filles pliaient, assemblaient ou cousaient les feuilles. Le friselis d’ailes du papier, sa clarté, l’apparition de gravures fines, donnaient au travail quelque air aristocratique. Un chant s’élevait, chant de Parisiennes, discontinu et frêle. Là où des filles d’Italie eussent modulé à la tierce, largement, elles s’efforçaient pour réussir un modeste unisson. Elles disaient :

...............................Vous êtes si jolie
...............................Oh ! mon bel ange blond !

Tout de même, la scène était douce, tendre,