termédiaire de mes livres, sans compter qu’ils touchent des honoraires savoureux. Ah ! non, mon œuvre est mon œuvre… la fille de ma volonté et de mon intelligence. Nier qu’elle soit à moi et par moi, c’est comme si vous niiez que mon corps constitue un individu, sous prétexte qu’il lui faut de l’air, de la nourriture, des vêtements, un abri ! Par surcroît, sachez, citoyen, que je me suis ruiné à trois reprises. Oui, j’ai perdu quatre cent mille francs à exploiter le peuple, comme vous dites dans votre patois. Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je marche à la fortune ou si je vais y laisser ma peau de sale bourgeois ! Allons voir mes ateliers.
Ils se retrouvèrent dans cette galerie d’où François avait aperçu, à vol d’oiseau, la ruche du boulevard Masséna. Une balustrade de chêne clair la contournait ; tout au long des murailles, dans de vastes casiers, s’empilaient des volumes par milliers, par myriades, par centaines de mille. Delaborde les montrait d’un geste de pontife. Puis, roulant des deux mains les pointes fumeuses de ses moustaches, il s’exclama :
— Voici les greniers ! Regardez, en bas, le labour, les semailles et la récolte.
Deux roues colosses tournaient au fond du hall ; une courroie sans fin rampait entre elles et coordonnait leurs vies. D’autres courroies filaient avec de légers frissons vers les petites presses plates, et de toutes parts, on voyait virevolter, s’abattre, osciller, mordre, trancher, dévorer, le monstre délicat et puissant des mécanismes, les organes menus et les gros muscles, les pinces graciles et les pattes farouches, les dents lestes et les crocs formidables. Ce spectacle se décela d’abord sous les apparences du chaos ; François n’aperçut que par degrés la subordination sévère, la liaison adroite et fatale de chaque détail à l’ensemble. Puis, son attention, désertant la grande rotative et la presse hydrau-