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ralysait… Il y eut une trêve ; quelques Jaunes réussirent à se dérober, puis l’événement poursuivit ses voies mystérieuses. On entendait une galopade, un furieux ressac. François vit s’élever des revolvers… D’un élan aussi instinctif que le bond du cerf devant les fauves, il se trouva près de Christine… Les détonations retentirent, la chevauchée s’arrêta, les dragons et les cuirassiers envahirent les cours et, durant que la foule fuyait en hurlant, François sentit une douleur légère dans sa poitrine, un tourbillon dans sa tête : avec un faible gémissement, il s’abattit contre la terre.


Il s’éveilla dans une chambre pauvre, aux murs blêmes, sur un lit de fer qui sentait le varech et la rouille. Une lueur craintive filtrait par des vitres verdies et des rideaux de tulle. Rougemont vit confusément quelques créatures humaines qui le regardaient. Il y avait Alfred le Rouge, Dutilleul, Gourjat, Pouraille, Bardoufle, deux femmes inconnues et un médecin qui venait de panser les blessures. Alfred fléchissait, avec un air de honte. Une horreur embuait la face bise d’Isidore ; Dutilleul baissait la tête, plein d’une souffrance haineuse. Contre la muraille, Gourjat connaissait une immense détresse : la mort de François Rougemont allait le remettre sans défense devant Philippine. Le plus malheureux de ces hommes était Bardoufle. Enfoncé dans un coin de la chambre, il y demeurait immobile, avec un tremblement continu des bras. Son âme d’enfant et de colosse s’effondrait : depuis deux ans, il l’avait remise aux mains du meneur. Le monde incompréhensible, l’évolution énigmatique des créatures, tout ce qui rend une conscience méfiante, tout ce qui s’élabore d’inquiétant autour d’un pauvre homme, s’illuminait, se colorait, s’expliquait par les yeux sincères et la voix chaude de son ami.