Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Enfin, un dragon, avec une plainte, lâcha sa carabine et montra son poing rouge. Dès lors la colère gronda sous les casques, cependant que les révolutionnaires s’aveuglaient au vertige de la lutte… François partageait ce vertige ; il était dans une existence flottante, où la règle et la pesanteur avaient disparu ; il clamait des paroles éloquentes qui électrisaient Alfred, Pouraille, Dutilleul, les Six Hommes, Gourjat, l’Empereur du jeu de bouchon et les hommes du fer. Il ne voyait pas la mort ; rien ne persistait que des images soudaines et, au tréfonds, infinie, la figure de Christine.

Deux nouvelles salves. Un homme rugit un blasphème. Le bras percé, un autre ricanait, avec une éraflure à la tempe. D’un seul jet, les émeutiers hurlèrent :

— Assassins ! Assassins !

Puis leur chant s’éleva sur la plaine :


Nous ne voulons ni Dieu ni Maître
Entravant notre liberté.


Et, comme les balles des revolvers sifflaient toujours à leurs oreilles, les dragons abaissèrent encore la hausse. Une légion de projectiles troua les palissades ou s’écrasa contre les moellons, des hurlements coupèrent le refrain, suivis d’une formidable débandade :

— Ah ! crapules ! Ah ! misérables !… vous avez tué vos frères !

Quatre forgerons soulevaient une forme humaine, dont la tête oscillait :

— Saluez, bandits… Saluez, assassins ! Voici votre œuvre !

Le silence tomba comme une nuit, les armes des soldats s’étaient inclinées et les officiers se découvrirent devant le cadavre. Presque aussitôt, un deuxième corps apparut, que soulevaient cinq ter-