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d’ambre, par intermittences, jaillissaient du ciel tatoué de nuages. Les émeutiers vivaient leur drame, tournés vers l’homme perché sur les escarbilles qui, au hasard, proférait l’exhortation ou la menace. Il y avait de la victoire dans les âmes : ni la police, ni la cavalerie n’osaient poursuivre… Quelque temps fluèrent les phrases de Hareng ; elles s’évaporaient en route, des mots perdus frappaient les tympans, mais c’étaient les mots familiers, que chacun pouvait enfiler les uns aux autres. Une vocifération les coupa :

— Attention ! la troupe rapplique !

— On ne flanchera pas ! mugit Hareng. Des barricades !

À peine la phrase eut-elle sonné, que des grévistes se ruaient sur les poutres, les planches, les pierres du hangar et des terrains vagues. En dix minutes, une première barricade s’ébauchait, face à la cavalerie, puis d’autres s’amorcèrent. Ce fut un quadrilatère chaotique, plein de brèches, qui, toutefois, pouvait enrayer une charge. Il ne contenait pas toute la foule : un millier d’hommes virevoltait sur la plaine et cherchait confusément des matériaux… Au loin, on voyait circuler les estafettes militaires ; un général à tête argentée parada devant les escadrons ; un flot de dragons s’engagea sur la chaussée. Avant qu’ils eussent franchi cinq cents mètres, des grévistes émergèrent, armés de planches, de madriers, de cordages et la voie se trouva barrée. À droite, à gauche, des masures, des monceaux de gravats, des amas de mâchefer et de coke : la charge s’arrêta.

— Vivent les dragons ! hurlait la foule. Sabre au fourreau… nous sommes frères !

Un morceau de coke fendit l’air et s’écrasa sur la face d’un brigadier. Alors, sur un ordre rapide, les soldats descendirent de cheval pour déblayer la route. Un essaim de cailloux les accueillit, cailloux