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s’arrêta. Des remous défaisaient son ordonnance, les curieux, intimidés, refluaient à travers champs. Toutes les âmes flottaient au hasard… Une trique, retentissant sur une cuirasse, déclencha la bagarre. Des cailloux, des mottes de terre, quelques litres arrosèrent les casques ; une nuée de gourdins menaça la police ; deux manifestants se jetèrent devant le cheval d’un capitaine en criant :

— Pas un pas de plus ! Vous n’avez pas le droit d’intervenir. En arrière, sale gradé, et au galop !

La rumeur des victoires bourdonna, la Ravachole retentit plus discorde et, dans cette tempête, on entendit le bruit grêle d’une détonation. Elle fut suivie de six autres ; des individus à grands feutres secouaient leurs revolvers :

— C’est idiot ! hurla Rougemont…

La clameur ne traînait plus que par lambeaux, un long étonnement oscillait de crâne en crâne. Un capitaine de dragons, tournant la tête vers ses hommes, s’assurait qu’aucun n’était blessé. Blocs d’argent taché de bleu et de rouge, les cuirassiers demeuraient impassibles. La police se massait près d’un carré d’avoine, plusieurs centaines d’individus, pris de panique, filaient à travers champs :

— Au grand hangar ! Au grand hangar !

Les quatre syllabes roulèrent par des larynx graves, aigus, rauques ou chantants, jusqu’aux extrémités de la horde. Déjà le noyau se mettait en route : comme le but était à gauche, aucun barrage n’arrêtait les grévistes. Ils atteignirent le hangar, où quatre cents hommes s’abritèrent, tandis que la multitude occupait les terrains et la prairie. Et Hareng, monté sur un tas d’escarbilles, ses mains en porte-voix devant sa bouche, mugit :

— La grève est chez elle ! Nous n’allons pas nous laisser aplatir. Camarades, à la vie, à la mort ! Celui qui quittera sa position sera un lâche !

Un vent mou roulait sur les torses, de longs rais