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qui était juste, qui était sûre ! Les travailleurs du livre, plus peut-être que les autres, doivent l’exemple de la raison et de la discipline consciente. Vous l’avez oublié, et c’est déjà trop. Ne l’oubliez pas une seconde fois, vous auriez contre vous l’opinion publique… vous vous le reprocheriez plus tard. Retirons-nous, camarades !

Une tristesse amère paraissait sur son visage ; sa voix était si pathétique qu’elle mettait des larmes aux yeux des femmes. Tous subissaient l’illusion d’une sympathie, d’un extraordinaire amour pour leur cause. Alfred ne put s’empêcher de dire :

— C’est vrai, on a mal agi… fallait causer et voir venir !

— C’est la faute à Burgas !

— C’est votre faute à tous ! Et j’en suis désespéré.


La foule s’écoulait. Son alcool était devenu fade et lourd ; le soleil d’été surchauffait des crânes sans courage ; l’âme qui avait soulevé les colères se fondait et s’éparpillait. Burgas Barbe-Verte filait tout seul, avec l’idée de la fosse prochaine. Le délégué se hâtait vers la guinguette, contracté par la vision du vin blanc ; Alfred, Berguin, Duchaffaud, Lachambre, Vérieulx, Lalaing, Méchard Haute-Épaule roulaient des corps veules et suants d’ennui. Partout s’échappaient des groupes aux faces vides, aux gestes mous, des hommes et des femmes pour qui la vie devenait une solitude épouvantable dès qu’elle les livrait à eux-mêmes.


François Rougemont fuyait le long des talus pelés. C’était la fuite du vaincu. Il avait pour soi-même un mépris brusque et une compassion profonde. Son âme optimiste concevait le désordre, la menace permanente, les pièges innombrables, que le pessimiste découvre au fond des circonstances.