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vous, vous, misérable Vérieulx, qu’il garde depuis quinze ans et qui ne faites plus seulement le travail d’un enfant ! Et vous Duchaffaud, dont il a payé les dettes ! Et vous, Burgas, qu’il a embauché par compassion… Ah ! ce que je ne voudrais pas être à votre place ! Ce que je me mépriserais !

Alfred, tout pâle, incapable de répondre une parole, avait baissé la tête ; Berguin ricanait stupidement ; Duchaffaud sifflottait d’un air embêté ; Vérieulx se cachait ; mais Burgas répondit avec insolence :

— De quoi ! Je vais claquer… par sa faute et celle des autres ! Peut-être que je dois le remercier !

— Faut la crever ! hurlait la margeuse. C’est une sale garce… c’est de la paillasse à patrons !

Une voix tonnante tomba sur la foule :

— Vous avez tort, camarades !

On vit François Rougemont dans la travée de gauche. Il était livide ; il regardait avec envie le pauvre vieux visage giflé et griffé où coulait encore de la salive. L’outrage devenait une victoire. Et lui, François Rougemont, pris dans le piège des circonstances, allait compléter sa propre défaite :

— Vous avez tort, reprenait-il d’un ton rauque. Cette violence est non seulement inutile à votre cause, elle est nuisible. C’est par une résistance consciente, par une volonté réfléchie que vous devez vaincre, non par des actes qui sont la négation même de l’idée syndicaliste. Vous ne devez recourir aux voies de fait que pour répondre aux actions brutales de la police ou des Jaunes…

Il allait au hasard, laissant les phrases se nouer selon des associations automatiques, plein d’un dégoût incommensurable. Et pourtant sa parole gardait cet accent de franchise par quoi elle dominait les multitudes. Elle éveillait le repentir dans le cœur d’Alfred, elle brassait les âmes falotes de Berguin, de Duchaffaud, de Vérieulx, de Chastelin,