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pitant, hors d’haleine, écrasé de stupeur, de honte et d’épouvante, il essayait de battre en retraite. La foule haletait de la volupté des outrages. Delaborde devint la bête aux abois, l’ennemi captif, le maître déchu ; un goût de plaintes et de sang exaspéra les crânes ; une femme cria :

— Faut l’assommer !

C’était cette margeuse que Deslandes avait surprise, un matin, à « fabriquer » un accident. Elle tournait vers Delaborde un visage de papier sale, des yeux de meurtrière, pleins d’une haine sèche ; deux bulles d’écume sourdaient aux commissures de ses lèvres :

— Un salaud que je dis ! Puis, un sournois… De ces gens qui ont l’air d’être bonhomme et c’est les pires. Ça donne deux sous pour pouvoir voler dix francs, ça fait risette pour vous frapper en dessous, et puis encore ça accuse le pauvre monde… Tapez-y dessus, allez… Y n’aura que ce qu’y mérite ! Tiens !

Elle donna son coup de griffe. Un trait sanglant raya le front du libraire ; la margeuse, ses pattes jaunes relevées près des tempes, dans une attitude de vieille chatte, feulait et crachait de rage.

Cette scène « déclencha » Rougemont. Honteux de son attitude, il se montra devant la foule et se prépara à l’attaquer. Il n’en eut pas le temps. Une femme venait de paraître, avec la démarche ailée des victoires. Elle poussa un grand cri et les hommes de l’atelier, levant la tête, reconnurent la chevelure en torche et le visage étincelant de Christine. Déjà, elle rejoignait Delaborde :

— Ah ! lâches… Ah ! lâches !…

Elle avait rejeté la margeuse ; elle fixait sur les hommes le feu dilaté de ses yeux, elle disait :

— Quelle honte ! Comment, vous, Alfred, vous que je croyais aussi loyal et aussi courageux que fort, vous avez souffert cette infamie ? Et vous, Berguin, dont il a secouru tant de fois la famille ! Et