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C’est le travail qui m’a f..tu ça ! C’est la fatigue, c’est les longues heures, c’est de turbiner depuis le jour de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre. Encore, si j’avais eu de la galette… j’aurais chauffé ma boîte dans le Midi, en Algérie, en Égypte. J’en connais qui l’ont fait. Ils ont craché leur mal, ils ont rafistolé les trous… y se portent comme père et mère. Mais quoi ! un pauvre ouverrier ! J’ai pas pu. Fallait bouffer.… la femme, le gosse !… J’ai continué à prendre la semence de cimetière. Et c’est pas la faute des bourgeois, c’est pas la faute des exploiteurs ? C’est pas ta faute aussi, m’sieu l’éditeur, toi qui gagnes pas seulement des mille mais des cent mille, toi qui peux te payer autant pour ta seule gueule que tous les travailleurs et travailleuses réunis. Non ! tu comprends, quand on va dévisser son billard, on ne se laisse plus chanter des phrases… on dit la vérité et la vérité c’est qu’avec les cochons qui vivent de notre peau, pour gagner sa vie faut se tuer. Si on avait du cœur, on leur tomberait une bonne fois sur le cuir et on s’en débarrasserait tout de suite, comme on se débarrasse des loups et des crocodiles…

Une verve lugubre animait le typographe… Sa colère s’exaspérait devant la face molle de Delaborde ; en infusant l’idée de vengeance dans l’idée de mort, Burgas se rendait la mort moins redoutable. Sa voix rauque, la toux, les joues creuses, la bouche terrible, agissaient étrangement sur la foule. La haine se leva, les individus cessèrent de s’appartenir, et, tout à coup, Duchaffaud prit l’éditeur au collet :

— Les huit heures, ou on t’assomme !

Au geste, au cri, l’animalité roula comme un torrent, les poings montèrent ; les femmes tendirent leurs griffes.

— Tape, Duchaffaud !

Delaborde jeta un long regard sur la foule. Il