tandis qu’en faisant bourse commune, au bout de quatre ou cinq jours, on verrait le fond du sac. Cette perspective l’atterrait. Quoiqu’il n’eût versé que vingt francs et que, par suite, il eût son voyage gratuit, il en venait à considérer la caisse comme un fonds commun. Son droit, d’abord vague, devenait indiscutable. Il voulait sa part.
La fuite, l’avenir, la passion du complot, tout disparaissait devant cette préoccupation, et il ne put se retenir d’en parler :
— Vois-tu, Marchot, pour se tirer d’affaire, le mieux serait encore de prendre chacun son neuvième de la caisse… Je le demanderai et tu diras comme moi.
Le meunier, tournant vers lui une face ahurie, ne répondit point.
— Tu refuses ? dit hargneusement l’ébéniste. Est-ce que t’es un avare ?
— Ah ! ça m’est égal ! gémit Alphonse. Qu’on m’enterre, si on veut.
Et il demeurait là, pris dans un piège incompréhensible, un piège social où l’avaient entraîné le mirage des paroles, des théories fantasmagoriques qu’il n’avait jamais comprises, qu’il ne comprendrait jamais, et qui pourtant détournaient le cours de son existence liée à tant de choses solides, précises, séculaires.
Dans sa chambre solitaire, Méchain ricanait. À cause de son nez, il n’avait voulu d’aucun compagnon. Il examinait avec rage son mouchoir encombré de mucus et se demandait si les gens de Bruxelles le dévisageraient comme ceux de Paris, d’Orléans ou de Montarguy. Car il s’imaginait invariablement qu’on le dévisageait ou bien qu’on se détournait de lui avec répugnance :
— Ah ! nom de Dieu de nom de Dieu ! gronda-t-il en jetant son mouchoir par terre. Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un nez comme ça ?