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IV


Le train les emporte. Ils ont abandonné leurs uniformes dans une chambre garnie procurée par Torcol ; ils sont neuf. Armand Bossange a joint au groupe le petit Meulière qui suit son ami à Bruxelles comme il le suivrait au Sahara ou dans les Indes. Par les portières fuit ce sol de France qu’ils ne doivent plus revoir pendant les jours de leur jeunesse : ces villages où se symbolisent les humbles circonstances de la vie humaine, ces villes où les clochers et les beffrois mêlent une vieille histoire à la jeunesse morose des usines, ces rivières qui semblent une même rivière, éternellement en route de la montagne à l’océan, ces emblavures, ces forêts, ces houblonnières, ces étangs, ces herbages… C’est une terre aussi inconnue pour les déserteurs que l’Afrique ou l’Océanie, et pourtant c’est la terre où leur courte palpitation rejoint une longue destinée, où l’on parle leur langue, où l’on a leurs habitudes, où l’hérédité a accumulé des instincts parallèles. Ils le sentent, même le meunier au cerveau de brume, même Méchain plein de haine ou Fagot pour qui l’argent deviendra la suprême patrie, et leur cœur se ratatine.

Mais la crainte chasse le regret : ils sont les fugitifs ; le sol où court la roulotte fumante est redoutable, leur imagination fabrique des pièges sans nombre. Et s’ils comptent les gares, si Méchain feuillette l’indicateur, si Fagot tire sa montre,