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partout, sans elle on devait se la caler avec des briques. Quant à l’armée, elle servait à la guerre : donc, si on la supprimait, il n’y aurait plus de guerre. Ce serait fait en cinq sec, le jour où les soldats français et allemands s’entendraient pour mettre de la dynamite au derrière des gradés. Cette solution était prochaine.

Arthur Méchain, le fils du cocher de fiacre, secouant un visage lugubre, se mouchait continuellement et s’irritait de produire tant de « moelle ».

Il ne pouvait souffrir qu’on le regardât, il détournait la tête avec un air de frayeur et de dégoût. À cause de ces manies, le sergent l’accablait de goguenarderies et le capitaine, agacé, déchargeait sur lui mainte mauvaise humeur. Il les haïssait sans mesure, il passait des heures à imaginer des traquenards où il les ferait tomber, des trappes, des pièges à loups, des cages de fer. Quand il les tenait, il les condamnait à des tortures où les produits de la digestion jouaient un rôle prépondérant.

Quant à Lucien Troublon, le droguiste, c’était un « naturien ». Il cherchait une vingtaine de compagnons et de compagnes pour vivre à l’état de nudité parmi des châtaigniers, des noyers, des pommiers, des poiriers, des vignes ou, si l’on choisissait les pays chauds, parmi des figuiers, des dattiers et des pamplemousses. Car « l’homme vient des arbres et doit retourner aux arbres » : avec une arboriculture intelligente, la terre nourrirait six milliards d’individus :

— Ce qui n’est rien ! clamait Troublon avec enthousiasme… Mais ces six milliards d’hommes, au lieu d’être des galvaudeux, comme les hommes d’aujourd’hui, seraient des créatures heureuses. Ils s’habitueraient vite à se passer de vêtements et de demeures. Or, le vêtement et la demeure sont notre grande servitude. Celui qui a bâti la première ca-