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Son cœur était aigre et sec ; il n’aimait personne, pas même ses parents, et mêlait une avarice infinie à des rêves de fraternité anarchique. Destiné à des fins sordides, le cerveau infecté par des calculs, il lui restait à épuiser son instinct de conspiration.

Pierre Torcol, le fils du marchand de vins, jeune homme chauve à qui aboutissaient trois générations d’artério-scléreux, se caractérisait par un nez en toupie, dont l’herpès rongeait les ailes, par des yeux noyés de vieux caniche et par une générosité sans bornes. Aussi naturellement partageux qu’il était rhumatisant, il ne défendait sa bourse contre aucune prière ; dès que le sieur ou la dame Torcol lui expédiaient quelques pièces de vingt francs, il les « cassait » au profit des camarades.

Par nature, ce jeune homme ne devait avoir aucune opinion. Mais son père, issu de communard, versait ensemble les apéritifs et les propos révolutionnaires. Pierre, ayant avalé les uns et les autres, professait un antimilitarisme obscur et bénévole.

Alphonse Marchot, le meunier, était venu à l’armée dans l’ignorance totale. Sa science sociale et politique se référait au député Anatole Beaujeu, qui était contre les prêtres, et à l’homme de l’opposition, un marchand de bois, qui avait organisé un chambard lors des inventaires. Les brochures qu’il reçut, après son incorporation, par des voies mystérieuses, lui plurent et le flattèrent. Et quand Armand Bossange les lui eut paraphrasées, il fut saisi d’un fervent dégoût et vécut dans la crainte qu’on ne l’envoyât se faire empoisonner chez des nègres ou recevoir des briques syndicales sur la mâchoire.

Paul Roubelet, le mécanicien, apportait à la révolution une simplicité d’âme admirable. Chacun devait « soigner sa gueule ». La pièce de cent sous était la vraie patrie ; avec elle, on était au chaud