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croissait, jamais le brave homme n’avait été plus heureux. Dans ce travail qui était une grève ou cette grève qui était du travail, il vivait comme une grenouille dans sa mare. Nul mieux que lui ne connaissait l’art de remuer doucement la terre ou de férir sournoisement du pic. Il y mettait de la religion ; c’était son honneur et c’était sa gloire. Le soir venu, il se tapait le sternum, roulait ses yeux soufrés de bile, poussait de l’avant sa barbe sablonneuse et clabaudait :

— J’en ai pas f… six noyaux de prune. Ceux autres qui esquintent leur viande pour le capital, c’est pas mes semblables, c’est cheval, bourrique et compagnie. Un homme libre n’a pas le droit de s’abîmer le tempérament. La fatigue est une saleté. On a le droit de vivre, pas ? Eh bien ! le docteur Mèchenikove a découvert qu’on peut vivre deux cents ans, seulement faut pas se dépiauter et faut boire un bon verre pour chasser les microbes. Qu’est-ce qu’il a fait jusqu’ici, l’exploiteur ? Il a fait claquer le terrassier avant cinquante ans. C’est-y vrai ? Quelqu’un oserait-il me contredire ? Je le lui défends, au nom de la statistique. Je dis et je répète que le terrassier ne vit pas le quart de son temps, vu les miasses et l’éreintement… Si tu f… le cintième de ce qu’ont fait tes pauvres bougres de pères et de grands-pères, as pas peur, le coffre-fort s’enrichira tout de même. Y connaît l’art, le coffre-fort, y sait faire de la monnaie avec chaque goutte de ta sueur… Alors quoi ! Ceux qui s’éreintent sont des cochons et des vendus et puis des imbéciles.

Il décrivait un signe de croix avec son perroquet :

— Contre les microbes, contre la fatigue, pour les trois-huit, ainsi soit-il !

Les compagnons de Pouraille appréciaient le charme de cette religion. Ils attribuaient au jeu de leurs muscles une valeur incalculable. Une pelletée