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la multitude se déclenche en notre faveur ! Si la majorité faisait les révolutions, les révolutions n’auraient aucun sens ! Il n’y aurait que de pitoyables et interminables évolutions : toute réforme utile n’aboutirait qu’après des siècles de souffrances. Jamais la majorité n’a su se faire rendre elle-même justice et jamais elle ne le saura. Il faut des minorités conscientes et courageuses pour la mener à la victoire… Quand il y aura un million de travailleurs vraiment éclairés, la révolution sera faite !

— Et défaite le lendemain ! Les réformateurs nouveaux n’auront aucun rapport avec vos réformateurs saugrenus. Vous vous croyez une logique et vous suivez l’instinct le plus obscur.

— Et vous ?

— Moi aussi. Mais du moins mon instinct obéit à la loi des civilisés. Je veux la lutte morale ; vous voulez la guerre des brutes.

— Les bourgeois nous l’auront imposée.

— Vous ne voyez jamais que leur force : leur faiblesse, leur impuissance vous échappe. Elle est terrible. Vous la remplaceriez par une faiblesse pire : celle du peuple. Ce n’est pas le bourgeois, c’est l’humanité qui ne peut pas, qui ne peut pas encore !

Il la considérait, un peu surpris, presque ému et très choqué d’entendre ainsi discourir cette fille charmante. Une grande sincérité s’élevait d’elle. Que ses idées eussent poussé naturellement ou qu’on les lui eût enseignées, elle les avait mises en ordre et savait s’en servir. Dans la jolie heure de printemps, elle fut un de ces êtres qu’il semble plus urgent et plus méritoire de convertir que les autres.

— Vous me parlez rudement, fit-il avec un sourire presque câlin, et comme à un ennemi.

Une pourpre légère monta le long du cou et du visage de Christine.