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richesses engourdies et de les multiplier par leur usage même. Ce moyen, c’est l’échange. Que la consommation soit doublée et triplée, du même coup, les objets consommables iront se triplant et se quadruplant. Vieux Thomas, chaque fois que l’on augmente le salaire d’un travailleur, on crée un débouché. Si tous les travailleurs de France avaient de quoi acheter deux fois davantage, il y aurait un renouvellement prodigieux de l’industrie et du commerce : avant cinq ans, nous aurions enfoncé les Anglais et les Allemands.

— Non ! non ! répondait Thomas avec un mouvement acharné de la tête, il n’y aura pas plus d’échange ! Les objets seront plus chers. Et qu’est-ce que cela me fait d’être augmenté de cinquante centimes, si les provisions coûtent onze sous de plus à la ménagère ?

— Vous n’êtes pas juste, Castaigne ! Les provisions n’augmenteront pas de vingt sous quand les ouvriers auront vingt sous de plus. Elles augmenteront, c’est inévitable, puisque la goule bourgeoise est là, prête à sucer dès qu’elle sent la chair fraîche… ou même la charogne. Mais elles n’augmenteront pas en proportion des salaires. Ce sera surtout la consommation qui augmentera, et avec elle l’échange.

Thomas dit Castaigne avait fait, dans la dernière année, de sérieuses lectures. Sa tête ressemblait davantage à celle du père Socrate. Il levait son nez court, il grattait sa barbe qui, vivant libre, massive et drue, en devenait agressive ; les gamins chantaient sur son passage :


Castaigne avec sa barb’ d’chiendent,
N’a pas besoin de brosse à dents !


Il répondait finement, en balançant l’index :

— Il n’y a que la consommation de l’absinthe, de