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notre première rencontre — vous étiez presque une enfant ! — j’ai eu pour vous une sympathie sans bornes ? C’était un coup de lumière… de lumière vivante… cette chevelure, ces yeux surtout et ce sourire sain, confiant, courageux, si beau ! Ah ! j’ai tout de suite compris que vous traceriez votre route quand vous le voudriez et comme vous le voudriez… Depuis, vous êtes pour moi je ne sais quoi de rassurant et d’irrésistible… dont je rêve même lorsque je m’accroche aux affaires. Ne le saviez-vous pas ? N’avez-vous pas senti qu’il vous suffirait de dire un mot pour que je vous aide à réaliser vos souhaits ? Honnêtement et loyalement, je vous jure. Je me couperais le poing plutôt que d’espérer un prix de mes services. Oh ! vous pouvez le croire, il y a, dans ma tendresse, du dévouement et du sacrifice.

Christine penchait la tête ; son visage exprimait la pitié, la tristesse et l’indulgence :

— Je le sais, fit-elle à moi-voix. Je sais que vous êtes un homme excellent.

Les yeux de Delaborde se mouillèrent de grosses larmes ; saisi par l’émotion molle des gens de son caractère, de sa structure et de son âge, un sanglot barra sa gorge ; il balbutiait :

— Que c’est gentil de me dire cela… que vous me faites de bien ! Peut-être devrais-je m’arrêter là… c’est déjà du bonheur, mais demain, tout serait à refaire. Mieux vaut aller jusqu’au bout. Et puis vous devinez. Si je n’ai jamais fait le moindre calcul, hélas ! ma chère Christine, je ne vous en aime pas moins, depuis bien longtemps, d’une autre tendresse que celle d’un ami.

Elle fit un geste qui implorait le silence, geste de pitié amicale et de résignation. Et, sans le bien comprendre, il y répondit d’instinct, dans une fermentation de souvenirs et une sorte d’extase :

— Vous ne savez pas ce que vous êtes pour