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qui la mènent, les intelligences qui l’orientent, sont vagues encore : elle n’est formidable que pour la guerre d’escarmouches ; pour les émeutes locales, pour les grèves, non pour une bataille décisive…


L’évolution des grèves accroissait les soucis du meneur. Il avait cru qu’à tout le moins, elles seraient retentissantes et fructueuses. Il les voyait avorter. Les mitrons, les mécaniciens, les ouvriers du bâtiment, les typographes, les terrassiers succombèrent ; à peine si les syndicats marquaient quelques succès minuscules. François s’apercevait, après coup, que tout le monde avait rêvé : la C. G. T., les syndicats, le populaire et lui-même. Ce qu’il voyait moins bien, quoiqu’il l’entrevît, c’est que l’époque approchait où les luttes pour l’augmentation des salaires et la journée de huit heures vont pâlir devant les métamorphoses de la production. Et il négligeait aussi, un peu volontairement, la fatalité des concurrences : elles exigeront que toute action socialiste soit internationale. La loi des niveaux rendra peu à peu impossible la prospérité d’une corporation d’artisans en France si une prospérité équivalente n’échoit aux corporations similaires d’Europe et d’Amérique. Ainsi toute révolution solitaire demeurera stérile ; une nécessité de fer et de sang condamne l’action syndicale à devenir universelle ou à périr ; le rêve d’une nation close, organisant la justice entre ses frontières, devient un rêve aussi lointain qu’un roman de chevalerie : la statistique et la dynamique sociales subiront la même nécessité qui, multipliant toutes les vitesses et reliant toutes les énergies, fait apparaître la vaste planète de Colomb, de Magellan, de Vasco de Gama plus étroite qu’un seul pays des vieux âges.