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vint la charge, la panique, les ressacs et François vit Dutilleul passé à tabac, Alfred le Rouge entraînant une grappe de sergents de ville, Bardoufle étreignant un agent pâmé dans ses pattes tentaculaires. La horde était dispersée. Toute intervention devenait ridicule ou nuisible.


Durant toute la soirée, il se reprocha sa faiblesse. Quoi ! se laisser prendre, après tant de résolutions et d’expériences, au vieux piège révolutionnaire ! Que servait-il d’avoir prêché l’organisation, la discipline, la lente étude, l’éducation opiniâtre des syndicats.

Qui savait mieux pourtant que la révolution n’existait pas encore dans les âmes, que les syndicats n’étaient qu’une semence et la C. G. T. un drapeau ? Sans doute, une agitation perpétuelle est salutaire ; sans doute, lorsque les circonstances sont favorables, il faut exciter à l’indiscipline, courir même le risque d’une répression brutale ; dans la masse inerte, ces épisodes suscitent les bonnes révoltes et se cristallisent en légendes. Mais croire à la substitution actuelle du monde ancien par le monde nouveau, quelle démence ! Certes, Rougemont n’admettait pas l’antique adage : la nature ne fait pas de sauts. Avec tous les agitateurs ses frères, il exagérait les « mutations brusques », il croyait, énergiquement, que les groupes humains passent par des périodes de fermentation, dont la rapidité est d’ordre révolutionnaire : lorsque, entre une autorité traditionnelle et un pouvoir de fait, existent des incompatibilités profondes, la guerre éclate comme entre deux nations. Une telle incompatibilité divise l’hégémonie bourgeoise et la puissance syndicale. Mais celle-ci est au début de sa croissance. Ce n’est pas une nation dans la nation, ce n’est pas même une fédération de peuplades, de tribus, de clans, c’est un assemblage amorphe. Elle tâtonne ; les appétits