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au fond d’une cour moisie, siégeait ce comité central qui lançait la terreur sur les bourgeois, l’enthousiasme sur les masses. Des délégués rôdaient parmi les plâtres. François vit le masque pâle de Riffulles, troué de prunelles violentes, et la face asiatique de Glévy. Riffulles répondait évasivement aux questions d’un délégué bas sur pattes.

Le meneur sentit crouler son rêve. Rien de précis n’avait été conçu, et moins encore réalisé. L’espoir nébuleux qui agitait les révolutionnaires avait réagi sur le comité ; Riffulles, Glévy et les autres travaillaient dans l’incohérence. Ce qu’ils savaient mieux que la multitude, c’est que l’agitation, à Paris surtout, était générale. D’innombrables rapports signalaient l’épidémie ; elle simulait l’ardeur qui, jadis, avait précédé les grandes insurrections, mais elle cachait une passivité surprenante.


François se retira, déçu. Il avait trop espéré pour désespérer tout de suite ; son rêve se reporta sur l’énergie des syndicats et la mollesse des troupes. Et, après un déjeuner sommaire, il recommença sa rôderie. Alors, il s’étonna de sa propre inclairvoyance. Comment avait-il pu s’y laisser prendre ? Aucune volonté précise, aucun enthousiasme moteur : tous ces gens vivaient le même songe, attendaient la même intervention occulte et le même miracle… Rougemont sourit à quelques hurlées insignifiantes, à quelque bénignes bagarres, puis se glissa, par des chemins détournés, vers le Château-d’Eau. De-ci de-là, quelques têtes révélaient une exaltation « positive », capable de se traduire en actes ; parfois un groupe faisait mine de s’échauffer, vite attiédi par l’indécision ambiante ; tout aboutissait à des sobriquets, des haros, des tabarinades. Pourtant, vers quatre heures, le rêve parut tendre à quelque réalité : la foule piaffa, des ondes la parcoururent, un barrage d’agents fut surmonté par une