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Le nom s’incrusta en François comme s’était incrustée la structure de la jeune fille. Car c’était une de ces heures où les souvenirs se fixent, telles ces pattes d’oiseaux qui, dans un limon favorable, marquent leur trace pour des millénaires. Et l’irruption de Christine avait eu je ne sais quoi d’énigmatique, comme le dédain de son attitude, et jusqu’à l’espèce de méprise qui avait mêlé leurs regards.

— Mademoiselle n’est sûrement pas révolutionnaire ! dit François avec bonhomie.

— Ah ! vraiment, riposta vivement Christine, à quoi voyez-vous cela ?

— Je le devine.

— Je ne dirai pas que vous vous trompez, non ! À coup sûr, je ne suis ni communiste, ni révolutionnaire, ni antipatriote. Mais peut-être suis-je socialiste…

Sa voix avait cette raucité légère qui donne aux voix de contralto une volupté mystérieuse. Les belles joues s’animaient, une ardeur agressive martelait les syllabes.

— On n’est pas socialiste, répondit paisiblement François, si l’on n’est pas communiste et révolutionnaire ! À la rigueur, on peut être patriote, quoique le patriotisme soit l’arme sournoise des bourgeois : elle empoisonne, engourdit ou tue les volontés.

— Pourquoi, interrompit Christine avec véhémence, ne peut-on être socialiste sans se fournir à la boutique communiste et sans achalander la boucherie révolutionnaire ?

— Parce que le socialisme, s’il n’a pas pour but la destruction de la machine capitaliste, est un leurre.

— Je ne comprends pas ! Je ne vois pas du tout pourquoi une entente serait impossible et pourquoi, par ailleurs, les ouvriers ne s’arrangeraient pas