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hurlement de triomphe se déchaîna sur les deux rives.

La cavalerie accéléra la charge ; elle coupa la horde en trois tronçons ; Haneuse, Mangueraux, Baraque, Vacheron l’Acacia, Fourru, Levesque, Filâtre battirent en retraite avec la plupart des terrassiers, des typographes et des jeunes antimilitaristes. Le peuple lâcha tout. Seuls restaient les Six Hommes, Dutilleul, Alfred, Bardoufle, Armand et Marcel Bossange, le petit Meulière, Isidore Pouraille, Gourjat, Piston la Tomate, Bollacq, Vagrel, quelques inconnus à l’âme combative et des fuyards qui, dans un vertige de terreur, s’étaient jetés parmi les sergents de ville. Dutilleul, fou de bravoure, et les Six Hommes tapaient à l’aventure ; Alfred le Rouge traînait vers le canal une grappe d’agents : ils lui tordaient les bras ou lui broyaient la gorge : le colosse se secouait comme un sanglier coiffé par les chiens. Bardoufle tenait un gros brigadier serré contre sa poitrine. L’homme devenait bleu et commençait à tirer la langue.


Toute lutte se décelait chimérique. La charge avait déblayé la voie ; le peuple, ahuri et torpide, se disloquait aux premiers rangs et hurlait à l’arrière-garde. La répression put se concentrer : un gros d’agents cerna Dutilleul et les Six Hommes ; d’autres se ruèrent sur Bardoufle, et les dragons refoulaient le conglomérat des Terrains-Vagues.

— Crevons ! cria Dutilleul.

Sa canne, traçant un huit terrible, sonna sur le crâne d’un sergent de ville. Il n’eut pas le temps de récidiver : dix fortes pattes lui ceinturaient le torse ; il vociférait :

— Lampions ! Tripes fétides ! Blairs de chiens… On vous f… un nougat de fer rouge et de plomb fondu dans le ventre…

Les agents l’assommaient en silence, cependant