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hommes lestes, furtifs ou hardis ; la rumeur s’enfla de huées et de glapissements ; on entr’apercevait les dragons, inquiets et pacifiques qui, évoluant en mesure, refoulaient le troupeau… Il y eut un arrêt suivi d’un jusant de fuyards : les brigades centrales barraient la rue Turbigo.

— On se bat place de la République !

Ce cri, prolongé de groupe en groupe, fila vers la place du Châtelet. Dutilleul et les Six Hommes rectifièrent l’alignement, Alfred le Géant rouge, Isidore et Bardoufle exécutèrent une sorte de bourrée, tandis que Pierre Laglauze dit l’Endive, Berguin et les autres s’enchaînaient par les bras en mugissant :


Peuple, ne sois donc pas si flemme.
Au lieu d’être votard,
Fais donc tes affaires toi-même.


— Ah ! on se bat ! On se bat ! On se bat ! répétait Armand d’une voix haletante.

Tout l’univers se condensait dans ces trois mots : ils enveloppaient la multitude, ils bondissaient sur les toits, ils s’élevaient dans les nuages. L’adolescent voyait distinctement le peuple immense et souverain, dévorant la police.

Le mascaret des badauds coula sur la chaussée ; les révolutionnaires, se poussant les uns les autres, opposèrent une barricade de poitrines aux brigades centrales. Alors une deuxième nouvelle se répandit à travers les ouïes innombrables :

— La police renâcle… les soldats commencent à se débander !

Ce fut une ruée ! La foule tournoya comme un maëlstrom, myriade de faces pâles, rageuses, terrifiées ou folles, et les brigades centrales reculèrent :

— À la Bourse du travail ! meuglaient des voix convulsives.