Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rage, de la forêt, de la tente flottante, de la chambre aux boiseries de cèdre. Elle venait, grande, tout animée d’un beau rythme, la démarche hardie, flexible et sans flottement. Et quand elle fut proche, ses joues d’une pâte riche et fraîche, où la nacre des mers se fondait avec la douceur des liserons, ses yeux au feu noir mêlé de cuivre et d’émeraude, ombragés par les cils drus, révélèrent la sève du peuple, une fraîcheur d’enfant, une fougue sans fièvre, heureuse et fière.

Son regard plana sur celui de François, avec curiosité et sans douceur. Il se plut à opposer la bénévolence à une combativité évidente. Elle demeura immobile, oubliant de détourner la tête, et leurs prunelles se pénétrèrent : elle fit une moue vive, sèche et sarcastique :

— C’est la bête rouge ? dit-elle en riant d’un rire un peu rauque.

— C’est la bête rouge ! répondit gravement Antoinette.

— Elle n’a pas l’air mauvais.

Il entra par la fenêtre une haleine subite qui rabattit la lumière. Des ombres crurent et décrurent ; un parfum ondula, qui était l’odeur de la nuit mêlée au jasmin du corsage nacarat. Ce fut tendre, vague, vaste. Rougemont tressaillit, agité d’émotions obscures.

— Oui, reprenait la vieille femme, c’est mon neveu François, qui revient d’un voyage révolutionnaire.

— Et pis personne n’aura plus faim, cria le petit garçon en posant sa joue contre la barbe de Rougemont… y aura des prairies sur les toits avec des ponts de verre.

Tout le monde se mit à rire, tandis que le geai imitait la clocherie des trolleys.

— C’est mademoiselle Christine Deslandes, notre voisine, continuait Antoinette.