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III


L’après-midi, au boulevard Sébastopol, le populaire s’accroissait, déversé des rues latérales par bandes ombrageuses ou par groupes ballants : un fleuve d’hommes coulait, avec des clapotis secs, des refrains déferlant un instant à la surface, des rumeurs s’enflant en houle et tourbillonnant aux carrefours. Tous, persuadés que le spectacle se déroulerait ailleurs, s’abstenaient de manifestations précises. Et la multitude se partageait en deux espèces. La curiosité mouvait l’une ; elle marchait plus veule et plus lente, elle était secouée de roulis, elle tanguait, hésitait, ondulait, tournoyait au gré d’événements minuscules. L’esprit des émeutes travaillait l’autre ; elle montrait des faces avides, farouches ou soucieuses, elle tendait à marquer le pas et prolongeait les souffles vagues en murmures orientés. En somme, c’était une foule hétérogène, une foule où les passions s’allument par traînées courtes, dansent en feux follets, s’éteignent en lueurs d’allumettes.

Des têtes surgissent de la masse comme d’une ombre, têtes de clair-obscur, farouches, fantasques, ou baroques ; de brusques silhouettes rappellent des chevaux d’équarrissage, des sarigues, des cigognes, des surmulots ; il y a des visages de mouflon, de chien, de porc, de lynx, de dindon, des barbes pelage de renard, d’ours, de lama, de bélier, des barbes en mousse et en lichen, opaques ou fluides, trouées comme des éponges ou semées en îlots. Des