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— Est-ce qu’on n’ira pas voir ?

Le groupe Pouraille s’était dispersé ; les hommes s’aggloméraient aux Enfants de la Rochelle ; Mme Meulière, devant une fenêtre ouverte, consultait le marc et annonçait des événements prodigieux ; les commères foisonnaient. Cependant, tout le monde sentait un grand vide. Il était dû à l’absence de Rougemont. Quoiqu’il s’en fût défendu, on lui attribuait une mission secrète, on attendait le mot d’ordre ou du moins un signal. Cette ombre qui planait sur les plans de la C. G. T., lui seul pouvait la dissiper : il ne le ferait qu’au moment décisif, mais il semblait impossible qu’il ne le fît point. L’énigme agitait pareillement les hommes assemblés aux Enfants de la Rochelle et les jeunes antimilitaristes qui cheminaient autour de l’usine Caillebotte :

— Est-ce qu’on n’ira pas voir ? geignit pour la troisième fois Paul Micheton, qui s’impatientait plus que les autres.

— On ne verrait probablement rien, fit Armand, hypnotisé par le rêve d’une explosion brusque, à heure fixe, dans l’après-midi :

— Si pourtant elle éclatait le matin ? insista Micheton. Puisque personne ne sait l’heure, pourquoi pas ?

— Tu vois bien qu’on n’a pas convoqué les fédérations. Il n’y a qu’à regarder autour de soi…

— C’est pourtant vrai ! Et sans les fédérations, qu’est-ce qu’on pourrait faire ?

Il y eut un silence ; de nouveaux antimilitaristes se montrèrent ; instinctivement, on se dirigeait vers les Enfants de la Rochelle. Toutes les tables de la terrasse fourmillaient de verres et de soucoupes ; on faisait une installation de fortune dans le jardin. Dutilleul avait enfin réuni les Six Hommes. Armés du gourdin et la poche garnie d’un revolver, ils se pressaient autour d’une table rouilleuse ; leurs voix s’élevaient, par intervalles, comme un aboie-