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a vraiment pas assez pour tout le monde, et qu’à une société composée de riches et de pauvres, ils ne pourraient substituer qu’une société de crève-la-faim.

— La France peut nourrir cent millions d’hommes, protesta Armand. Il suffira de l’organiser. Nous sommes prêts.

— Ah ! vous êtes prêts, ricana mélancoliquement Bossange. Et comment ? Où ça se passe-t-il ? Qui a dressé les plans ? Et les connais-tu, ces plans ?… Mon cher garçon, tu en sais, sur ce point, juste autant que moi. Tu fais partie d’un club antimilitariste et tu fréquentes un cercle révolutionnaire. Ça s’arrête là ! Ton cercle et ton club ne seraient pas seulement capables de diriger l’usine Caillebotte ni les ateliers Delaborde.

— Non, mais les ouvriers de Caillebotte et ceux de Delaborde en seraient aussi capables que les exploiteurs actuels. Ils sont organisés ; ils appartiennent presque tous à des syndicats.

— Organisés ! soupira le père, organisés pour faire une grève, pour réclamer vingt sous d’augmentation de salaire ou la réduction des heures de travail, organisés pour clabauder, pour menacer, pour aller au cabaret et applaudir les bavards. Mais qu’ils reprennent l’usine Caillebotte ou les ateliers Delaborde, avant six mois, il leur faudra fermer boutique.

— Oui, s’ils sont isolés dans un monde bourgeois, boycottés par de mortels ennemis, non, s’ils luttent et travaillent dans une société fraternelle.

— Et qu’en sais-tu ? Y as-tu vécu dans une société fraternelle ? Avec quoi la fera-t-on ? Avec des hommes, de sales bêtes envieuses et jalouses ! Tu rêves, tu es dans la lune, tout comme les révolutionnaires du vieux temps.

— Nous ne rêvons pas, s’exalta le jeune homme, pâle de mysticisme. Le prolétariat a fait des pas