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pacifique jusqu’à l’humilité. Qu’elle ait le courage du désarmement et toutes les nations seront réduites : cette terre d’espérance et d’amour que la Révolution faillit faire d’elle, elle le deviendra, à coup sûr. Sa douceur sera adorée, elle apparaîtra sainte, sacrée, inviolable. Alors, les classes seront les patries : la classe exploitée sera la patrie des travailleurs ; la classe bourgeoise tout entière sera la patrie des patrons.

Plein de son rêve, Rougemont le répandit fanatiquement. Il fut de la pléiade qui envahit l’Yonne ; il grisa les paysans de paroles, au fond des bourgades obscures, il mena des conscrits emportés par un délire de haine, créa des refuges pour les déserteurs, brûla des drapeaux, prêcha le Manuel du soldat jusqu’à la porte des casernes. À mesure, il découvrait des raisons plus véhémentes pour en finir avec « la vieille courtisane lubrique » et avec « le cloaque hideux où fleurissent l’ivrognerie, le vol, l’espionnage et la lâcheté ».


Après un silence, le meneur reprit :

— Pour ceux qui aiment l’humanité, nous vivons dans une période admirable.

La théière distillait une odeur de crépuscule et de rêve.

Tous quatre jouissaient de la grâce tendre qui rejaillissait des étoiles.

— Alors, fit Charles, tu es heureux ?

— Je suis rarement malheureux. Ma colère, mon indignation même, sont réconfortantes. Ce n’est pas une mauvaise spéculation que de lier son sort à celui des vaincus. On n’a plus le temps de s’appesantir sur les tristesses, un peu viles, de l’existence personnelle.

— Cependant, demanda Garrigues, ne faut-il pas développer l’individu ?…

— Et qui dit le contraire ? Mais l’individu s’est