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travaux bas ou ridicules. Quelques lurons jugeaient expédient de lui casser plus ou moins la gueule. Les partisans de la « purge », estimaient sa suppression désirable, en même temps que celle de trois ou quatre cent mille de ses congénères. Beaucoup de camarades, d’ailleurs, partisans de la bénévolence en bloc, rêvaient leurs petites vengeances secrètes.


Au club des jeunes antimilitaristes, Armand Bossange apportait une énergie accrue par le succès. Son mysticisme hypnotisait ces mentalités neuves. Tous attendaient, à date fixe, la métamorphose du vieux monde. Par des soirs mêlés d’astres et de nuages, au fond du jardin vague, dans l’annexe titubante des Enfants de la Rochelle, ils vécurent une semaine admirable. En vain usaient-ils d’un verbiage saturé de termes positifs, ces termes se revêtaient d’espérance occulte et de foi miraculeuse. Ils élevaient vers l’expropriation bourgeoise, vers l’Organisation communiste, la même âme extasiée qu’un Arabe de l’Hégire vers le ciel d’Allah ; et tandis qu’ils brûlaient les images, d’autres images naissaient interminablement dans leurs cervelles. Ivres de rites, de symboles, de vieux songes transfusés, ils postulaient, avec une confiance éperdue, la puissance insaisissable qui magnifiait leurs désirs.

Le grand jour se leva. Des nues moutonneuses virevoltaient au-dessus des usines et des terrains vagues, une faible haleine frôlait les fortifications et coulait vers la Butte-aux-Cailles. La lumière était fine et tendre, les herbes, les chardons, les giroflées, les linaires, les plantains, les arbres valétudinaires et les arbustes plaintifs se hâtaient de faire un peu de chair verte. La légion des cheminées était morte ; l’usine Caillebote, la fabrique Fauvel, la teinturerie de Fritz, les établissements de Mirvalet-Constant, oubliaient d’infecter le terroir de leurs haleines car-