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Les patrons le savent bien, qui ont de tout temps lutté pour faire alterner les deux fléaux qui démoralisent et abêtissent le peuple : le surmenage et le chômage. Par la diminution des heures de présence, on combattra efficacement l’un et l’autre.

Ainsi s’en allaient prêchant les hommes de la C. G. T. Pourtant, les plus avisés savent bien que le problème n’est pas simple. Il englobe la concurrence internationale. À diminuer le travail, à accroître le salaire, la concurrence devient ruineuse pour la France. Les nations pauvres se lèvent pleines de sève et la peau dure. Elles ne redoutent ni la fatigue, ni les bas prix. Elles inonderont les marchés, elles enrayeront l’effort révolutionnaire. Pour les combattre, il faudra économiser l’énergie d’hommes, trop chère, et transformer l’outillage. Mais la transformation de l’outillage entraîne aux réductions de personnel : en Angleterre, depuis dix ans, les nouvelles machines ont mis cinq cent mille hommes sur le pavé. Par suite, la fédération des syndicats devrait franchir les frontières. Alors se pose l’obstacle formidable qui sépare les prolétariats : le patriotisme militaire.

Français Rougemont s’était difficilement rallié à l’antimilitarisme. Il aimait sa race, l’image d’une France humiliée lui était intolérable, il concevait vivement la douceur de vivre entre créatures de goûts, d’instincts et de mentalités analogues. Des arguments historiques le décidèrent. Asservie pendant dix siècles, l’Italie n’a pu être réduite. Un antimilitarisme indomptable eût été salutaire à la France de 1870. Quel écrasement, si nous avions accepté la lutte après Fachoda ! Qu’a gagné l’Espagne à la guerre cubaine ? Les Boers n’ont-ils pas vainement sacrifié le plus pur de leur race ?

Et Rougemont se persuadait que le rôle militaire de la France est fini. Le soldat ne sera plus sa force. Elle le sait, elle a dégoût de la guerre, elle se fait