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Mais lui-même sentait la faiblesse de sa réponse : il jugeait Bardoufle et Béquillard incapables d’enventer le plus modeste jouet mécanique. Les autres, au tréfonds, partageaient cet avis. Néanmoins, sauf Taupin, Meulière, Fallandres, ils avaient fini par se persuader que l’invention était une forme de l’exploitation et de la rouerie bourgeoises. Hypnotisés par le principe, ils s’achoppaient aux objections de détail :

— Tu n’en es pas sûr ? reprit Meulière… Si tu vas au fond de toi et si tu dis la vérité, tu ne crois pas du tout que Jules Béquillard aurait pu découvrir le téléphone.

Dutilleul fit mine de se précipiter sur le père Meulière :

— Bon ! fit l’autre, pas la peine de faire le fendant, je suis sûr que tu me flanquerais une pile et ça serait encore une fois la répétition de l’inégalité des hommes.

Le petit Taupin, qui avait écouté en silence, eut un aboiement joyeux :

— Pour sûr, qu’on est pas égaux… et pour sûr aussi que les bourgeois sont plus malins que les ouverriers !

Dutilleul s’était calmé. Un mot de Rougemont lui remonta à la mémoire ; il le lança à tour de bras, comme une pierre de fronde :

— On n’est pas égaux, peut-être, on est équivalents — et c’est la même chose.

— Je ne comprends pas ! fit l’obstiné Meulière.

— Ça veut dire qu’on a chacun ses qualités. Celui qui n’est pas inventeur se rattrape sur autre chose. On peut être un médecin épatant et n’avoir rien inventé, ou être un très mauvais médecin et avoir trouvé le remède au croup. L’un vaut l’autre.

— C’est une farce ! Y a des tas de mauvais médecins qui ne sont pas fichus d’inventer quelque chose. Tu connais comme moi des types qui n’ont rien du