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doute, s’il rompait, elle ne réclamerait aucun droit, mais sa souffrance en serait plus navrante.

Il rêvassait, un matin qu’Eulalie flottait avec les vagues. Les nuées s’éteignaient, pleines d’une foudre sourde. De rauques mouettes se ruaient vers la falaise, les puces de mer sautelaient plus molles et des goélands tournoyaient au large ou fonçaient vers des proies mystérieuses. Lorsque Eulalie se posait sur un îlot ou sur la pointe d’un promontoire, Rougemont considérait, presque avec angoisse, cette fille long jointée, au torse mince et au col héronnier.

Ces formes lui avaient plu, dans le premier feu, d’autant qu’elles se révélaient douces et flexibles. Tout de même, le menton finissait en pointe, les joues s’étiraient, étroites et longues, toute la structure rappelait les échassiers.

« Que faire ? se disait-il, plein d’une charité molle… Je ne devais être qu’un passant… le caprice de quelques journées ! »

Jamais il ne s’était cru plus assuré de cueillir la simple fleur d’aventure. Car Lalie n’avait exigé aucun des mensonges, aucun des rites qu’exigent les plus étourdies. Et tout de même voici qu’une responsabilité semblait naître. La vie tendait ses pièges : elle lie les êtres par la bonté comme par la malice, par la prévoyance comme par l’imprévoyance. Rougemont perçoit que la grande fille a conquis des droits imprécis, parce qu’elle a été heureuse sur la plage et la falaise. Elle les accroît en s’attachant à François ; ils deviendraient terribles si elle l’aimait avec constance.

— Oui, que faire ? répétait-il. Nous sommes si étrangers l’un à l’autre ! Le plus sage serait de terminer l’aventure en même temps que le voyage…


Une telle solution lui répugnait. De toutes les cruautés psychiques, aucune ne lui paraissait plus