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nisme cessa d’être un pur symbole. Devant l’État bourgeois, un peuple inconnu se mit à croître : il était pauvre, souffrant, brutal, mal armé, mal instruit, mais il connaissait sa voie, il décelait une volonté que ne réduirait aucune résistance.

Alors, le jeune homme mêla à la Confédération du travail ses peines, ses colères, ses révoltes, ses joies aussi et même ses amours, qui ne furent que des rafales. L’évangile socialiste n’avait pas encore rencontré de croyances aussi agissantes, ni pénétré aussi loin dans le cœur du peuple. Tandis que les congrès de Tours, de Toulouse, de Rennes, de Paris, de Lyon, de Montpellier, de Bourges précisaient le code de la Confédération, il se fit une extraordinaire tourmente. Ce fut la tournée des apôtres, des marabouts, des iconoclastes, de l’Armée du Salut syndicale. Les anarchistes y apportaient leur fièvre, les collectivistes y ravivaient des ardeurs amorties. Dans cette nation de hordes, aux disciplines confuses, mais hargneuses, mais impératives, il y eut place pour les rejetons de Ravachol et pour les bâtards du possibilisme. Tous s’en allaient, prêchant les gueux en blouse, en cotte, en salopette, en serpillière, en tablier de cuir ou de toile, les gueux blancs de plâtre ou de farine, noirs de suie, de charbon ou de limaille, bleus ou verts de teinture, tachetés d’ocre, de céruse ou de vermillon, roussis par le soleil, rôtis par la fournaise, empoisonnés par l’acide, les caustiques, le phosphore — faméliques, alcooliques, dégradés, abrutis. Ils allaient par les faubourgs d’usines, les hauts fourneaux et les pays de houille, les carrières, les chantiers, les quais, dans les trous de la terre, dans les flancs des navires ; ils allaient secouant l’homme inerte, l’allumant de convoitise et de haine, éparpillant pêle-mêle dans sa tête les images, les idées simples et les furieuses espérances. Des myriades d’âmes dormaient qui se réveillèrent. D’apprendre