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évoquaient l’écaille des poissons, l’aile des insectes, l’argenture des coquilles, les émaux, les rocs, les pâturages, les glaciers…

— C’est elle ? demandait Eulalie.

Elle cherchait un espace incommensurable et la mer lui semblait à peine vaste, parce que le ciel, là-bas, la fermait, comme une muraille. Plusieurs bateaux touchaient l’horizon ; l’océan dont on ne devait pas voir la fin, se terminait aussi vite que la vallée de la Marne ou celle de l’Yvette.

— Est-ce qu’elle est toujours aussi petite ? reprit la brocheuse, avec l’espoir qu’on ne lui montrait pas tout, que l’étendue allait s’ouvrir tel un décor qui s’écarte.

— On n’en voit pas la fin !

— Que si !… Si on pouvait marcher dessus, il ne faudrait pas une petite heure pour arriver là-bas, où ça s’arrête.

— Rien ne s’arrête. Quand tu aurais marché une heure, ce serait toujours aussi loin… et quand tu aurais marché des jours, des semaines, des mois, tu ne verrais toujours pas d’autre fin que l’horizon…

— Alors, pourquoi ça n’a pas l’air plus grand ?

Tout de même, elle était un peu consolée ; elle commençait à s’intéresser aux légions du flot, à leurs longues hurlées, à leurs bonds, leurs chocs et leurs écroulements :

— C’est vrai qu’elle est sauvage, fit-elle.

Il prit Eulalie à la taille et la fit descendre par un sentier de douane ; leste et légère, elle adorait le vertige ; le grondement des flots, accru, la remplissait d’impatience et d’ivresse. Quand elle fut sur la plage, dans le vent du large qui lui électrisait la face, trébuchant sur les galets, près de la cité des granits où rebondissaient les clameurs, elle sentit tout à coup la solitude, l’aventure et l’immensité.

— Oh ! oui, oh ! oui, s’exclama-t-elle.

Sautant sur les galets et laissant se défaire son