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trait le crâne et meublait les joues roses ; il travaillait sans acrimonie, joyeux à chaque pause et grognant de volupté devant les pitances. Pour cet hercule flave, une soupe aux pommes de terre, un chanteau de froment, une ratatouille au lard, un tourteau de fromage recélaient des plaisirs parfaits. Il complétait la mangeaille par l’usage de sa femme. Comme lui, elle était du blond des pailles de seigle. Sa pâle chevelure se tassait sur une tête longue, aux narines roses, à la bouche parée de longues incisives. Cette femme élargissait des hanches bibliques, sur des pattes de rhinocéros ; à trente-deux ans, elle avait conçu douze fois. Trois enfants étaient morts, cinq filles et quatre garçons poussaient en force, la peau rose goret ou blanc jasmin, lourds, sensuels, vivaces, les uns doués de la cautèle et de la curiosité de l’aïeul, les autres opaques comme le père, la narine frétillante aux odeurs de la cuisine. Toute cette race était prompte à se gaudir, presque étrangère au souci : Rougemont avait gardé le souvenir d’une atmosphère libre, reposante et saine.

C’est là qu’il mena la grande Eulalie. Ils arrivèrent en char-à-bancs, un après-midi où les nuages jouaient à cligne-musette avec le soleil. Le père Bourguel les reçut sous le porche ; un dindon tendit son cou de vieille femme, un paon grinça ; trois des fillettes avancèrent leurs toisons claires dans la pénombre :

— Père Bourguel, fit le révolutionnaire, avez-vous une chambre pour ma femme et pour moi ?

Le vieux cligna son œil pers, en signe de scepticisme. Mais il ne tenait qu’aux apparences, et sachant que Rougemont payerait avec exactitude, il riposta :

— Oui bien ! Il y a la grande chambre où on pourra mettre un deuxième lit. La pension sera comme d’habitude.… quatre francs par personne,