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vait un grand courage. Dans une société, dont elle acceptait pourtant les lois d’airain, où elle consentait au travail et se résignait à l’indigence, prête à subir la faim plutôt que de dérober un sou, elle se gardait libre pour l’amour et ses risques farouches, sans honte, sans réserve, sans promesse ; elle ne comptait sur la fidélité ni du mâle ni d’elle-même. « La pauvre petite m’a offert son corps en « libre grâce », songeait-il… je ne lui dois pas plus que le coq de bruyère à ses poules. Elle m’a délivré même du scrupule ! »

Comme toujours, les manies révolutionnaires obstruaient sa rêverie. Il se redemandait si la famille devait vivre ou mourir — si les enfants seraient à charge de la communauté, l’homme libre de féconder au gré de l’heure et du caprice. Alors tout l’avantage ne reviendrait-il pas à ceux qui savent persuader la femelle, par la structure, la parole, la ruse ou le don ? La sélection n’en serait-elle pas faussée ? Après tant de siècles, des qualités sont venues, lentes et fortes, très sûres, qui ne peuvent se manifester s’il est entendu que la séduction sera rapide. Elles s’exercent par le mariage, elles se renforcent par la responsabilité sexuelle. L’union rapide les fera décroître ; elle éliminera les types solides, sur qui reposèrent les générations, au profit de types plus légers ou plus brutaux qui maintinrent l’incertitude, l’inconstance, le cynisme.

« Mais, arguait Rougemont, le communisme créera d’autres vertus. À l’énergie familiale, il substituera l’énergie du groupe, la solidarité des compagnons, l’aide aux faibles. »

Paris s’annonçait dans la nuée et jetait une lueur rose devant les constellations. Des rampes de lumière sabraient la banlieue ; Eulalie murmurait :

— Tu m’aimes encore ?… Tu m’aimeras bien quelques semaines ?