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herbu, d’où l’on domine la vaste pouillerie des banlieues.

Le plateau était solitaire ; une faible haleine s’élevait du sud. Quoiqu’elle eût frôlé des terres d’usines et des emblaves croupissantes, elle apportait la senteur heureuse de l’espace, la force des bois, des herbes et du fleuve. François subit les instincts qui désarment, qui dissolvent et nous emplissent d’une poussière de rêves. Le présent exista, plein de grâce inquiète ; le meneur regretta tant de femmes et de filles, dont, par vertu sociale, il avait fui les faces tendres et les profondes chevelures. Et voyant surgir, au détour du talus, un corsage rouge et un corsage soufre, il eut un tressaillement : n’était-ce pas la longue Eulalie avec Georgette ?

Eulalie portait un chapeau plat où vacillaient des coquelicots ; sous sa jupe noire étincelait un jupon cramoisi ; elle avait ce visage fou que lui donnait le grand air. Georgette s’avançait en cillant. Elle riait aussi, en sa manière langoureuse ; une sensualité sournoise, une paresse dédaigneuse ajoutaient à son charme. Sur le clair des cheveux, une toque allait de guingois ; le ton presque feu du corsage avivait le sourire vague et la pulpe fraîche des joues.

— Qué que vous fichez par ici ? cria Eulalie… Y va y avoir un rassemblement de grévistes sur les fortifs… ou bien une manifestation contre les casernes ?

Elle frôlait François ; ses beaux yeux d’animale, où une phosphorescence bleue flottait dans le noir, se fixaient sur les prunelles de l’homme avec insolence et camaraderie.

— Y prépare un grand coup ! ricana Georgette avec un rire de gorge bas et trouble.

— La grève des hannetons !

— Le sabotage des sauterelles !

Il souriait, remué par ces voix où coulait l’onde